SI JEUNESSE SAVAIT
Pour que le choix de la jeunesse compte
Association des jeunes féministes de la République Démocratique du Congo

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Militante et défenseure des droits de la femme, Françoise Mukuku est la directrice exécutive de Si Jeunesse Savait, une structure Féministe basée à Kinshasa en République Démocratique du Congo qui œuvre entre autre dans l’usage et l’appropriation des technologies de l’information et de la communication par les femmes. Elle répond aux questions de Bianca Baldo sur le sujet qui la passionne tant, à savoir les droits des femmes et de la sécurité en ligne.

 

BB: La violence faite aux femmes à travers les technologies de communication(VFFTTC) n’est souvent pas dénoncée. Comment les cas mis en évidence dans le projet «Halte aux violences: Les droits des femmes et de la sécurité en ligne" par GenderIT.org et APC sont venus à votre attention?

FM : Certains cas avaient été largement documentés par la presse, d’autres nous ont été révélé lors de nos sensibilisations, particulièrement nos échanges avec les écoles, les universités ainsi que des organisations de femmes militantes.

 BB : Suite à vos observations professionnelles et les commentaires de la communauté, quelles ont été les éléments les plus réussis et les pistes d’intervention requises suite à cette campagne? S'il vous plaît préciser les impacts et initiatives locales de la société civile, les autorités locales et les agences gouvernementales?

FM : Dans notre cas, c’était surtout la sensibilisation et activités publiques. Ces initiatives nous ont permis de reporter des cas locaux à la communauté internationale sur le site takebackthetech. Par la suite, les campagnes TECH SANS VIOLENCE ont permis à plusieurs personnes de comprendre que ce qu’elles vivaient n’étaient pas juste une blague de mauvais gout mais réellement une violence.

En  outre, un petit nombre de cas, nous ont été révélé par les victimes elles-mêmes.

BB : Depuis la publication de l’étude, aviez-vous vu une augmentation de l’intérêt et de ressources pour la conscientisation et l’éducation populaire afin de lutter contre la VFFTTC?

FM : Non, nous n’avons pas vu cela. D’abord par ce que nous n’avons pas réellement circulé l’étude dans sa globalité, plutôt juste des morceaux choisis dans nos travaux de plaidoyer sur les politiques. Aussi, nous pensons que l’étude n’a pas révélé grand chose sur les stratégies des victimes, car sur les trois histoires documentées, aucune n’a cherché à avoir justice avec succès.

En outre, la partie des remèdes légaux était un peu en déphasage avec le contexte puisque la plupart des violences avaient été faites au téléphone et il y avait une difficulté à cerner réellement les responsabilités des opérateurs téléphoniques dans ces cas. Aussi le fait que ces opérateurs n’étaient pas très coopératifs ne nous a pas beaucoup aidés.

BB : Dans l'un des cas mis en évidence dans la RDC, une jeune fille a été victime d'une utilisation non autorisée de photos nues sur Facebook. Est-ce qu’il y a eu une attention particulière pour la protection des mineurs contre la VFFTTC? Si non, quelles mesures cruciales envisagez-vous pour la protection des jeunes femmes contre ces types d'abus?

FM : Lors de notre plaidoyer nous avons relevé que les jeunes filles avaient des besoins particuliers de protection mais n’avons pas beaucoup insisté sur ce message. Nous voulions être clairs sur le fait qu’il ne s’agit pas d’empêcher les jeunes adolescentes d’accéder à l’internet ou encore de protéger toutes les femmes comme des enfants.  Nous avons plutôt insisté sur le besoin de comprendre ces violences et de les prévenir en sensibilisant les internautes sur ce qui est permis et ce qui ne l’ait pas sur internet.

BB : Dans un autre cas, la VFFTTC était directement liée à la violence contre les communautés LGBTQ en RDC. Quelles sont vos réflexions sur la nature particulière du problème et des solutions potentielles. Est-ce qu’il y a des protections juridiques ou d’autres mécanismes de protection contre les violations basées sur l'orientation sexuelle? Si oui, quels sont les obstacles vécus par les survivants pour exercer leurs droits?

FM : Il n’existe pas malheureusement de protection juridique spéciale pour les LGBTQ en RDC. Nous essayons déjà de mettre de l’avant le fait que nos lois ne criminalisent pas l’homosexualité et que tout abus et violations sont faits dans le cadre de l’harcèlement quotidien de la police.

Cet argument rend d’ailleurs difficile le fait de parler de violence ciblant les LGBTQ puisque cela peut arriver à tout le monde dans un contexte de violence généralisée envers les femmes. Comme vous le savez, le taux de violence sexuelle en RDC est assez élevé et les lesbiennes et autres femmes de communautés LGBTQ ne sont pas en reste.

BB : La nature transnationale des VFFTTC complique le processus juridique pour les abus locaux, car les violeurs sont situés à l'extérieur du pays de la victime. Dans l'étude de cas où l'ex-petit ami a piraté le blog de la survivante et a affiché  des messages violents et harcelants, la victime a tenté d'obtenir  de la justice par les gouvernements en RDC et la France. Elle a été incapable de trouver la justice, car aucune autorité judiciaire n’avait la compétence de rendre responsable l’agresseur. Quels changements aimeriez-vous voir pour remédier à cette situation? Les solutions sont-ils au-delà des moyens juridiques et administratifs disponibles?

FM : Je pense plutôt que le processus pour faire  une telle démarche n’était pas très clair et incluait des dépenses onéreuses pour la victime. Par exemple,  les autorités françaises demandaient d’aller porter plainte en personne sur place, voulant dire qu’il fallait payer un billet d’avion, obtenir un visa et avoir un avocat sur place. Cela représentait des difficultés financières pour la victime.

Par la suite, le processus pour bénéficier de l’aide du gouvernement congolais n’était pas clair puisque seule une personne, un fonctionnaire du ministère des affaires étrangères  le connaissait et elle n’était pas disponible lorsque la victime en avait besoin.

Quant à la solution administrative qui consistait à écrire à la CNIL, elle était non seulement onéreuse mais également difficile à évaluer puisque la victime n’a jamais reçu de feedback en rapport avec sa demande. Et elle a dû l’envoyer par courrier recommandé international, ce qui est assez onéreux.

Pour répondre à votre question, ces violences devraient être traitées comme l’on traite les violences économiques transnationales avec la possibilité de faire intervenir des mécanismes existants et si possible peu onéreuses pour la victime.

BB : Quelle a été la réponse des fournisseurs de services locaux, y compris les entreprises de téléphone cellulaire, les services sociaux et la police? Qu'est-ce qui doit être fait pour renforcer leurs capacités à mieux protéger les survivantes?

FM : Leurs réponses étaient assez ambiguës.  À plusieurs reprises, ils nous renvoyaient à des chartes règlementaires qui existaient sur leurs sites. Ils étaient en anglais, même dans un pays francophones et parfois, il y en avait plusieurs.  On n’avait pas nécessairement l’expertise de dire qu’est-ce qui couvraient leurs responsabilités corporatives.

Nous avons aussi constaté qu’ils utilisaient les mêmes chartes pour tous les pays d’opération. Ils n’ont pas offert suffisamment d’informations sur leurs dispositions qui ciblaient la violence faite aux femmes au Congo.

BB : Dans de nombreux cas, les femmes sont incapables de trouver des remèdes juridiques en raison des frais juridiques élevés. Êtes-vous au courant d’organisations en RDC qui fournissent une assistance juridique en cas d'abus de VFFTTC?

FM : Il existe des organisations qui donnent de l’assistance juridique pour les violences faites aux femmes. Malheureusement, la VFFTTC n’est  pas considérée officiellement reconnu comme une forme de violence fait aux femmes et les défenseurs judiciaires manquent de l’expertise pour se charger de tels cas. Nous avons eu à parler avec quelques-unes durant le projet et personne n’avait jamais reçu ce genre de cas, ni ne pensait pouvoir le défendre avec succès devant les tribunaux.

BB : Demander la justice peut présenter à la fois des défis physiques, psychologiques et communautaires pour les survivants. Comment votre organisation soutient les survivantes de VFFTTC et assure la protection des femmes contre la victimisation continuelle? Quels types de services sont offerts? Est-ce que les survivantes dans les études continuent à avoir besoin de soutien de votre organisation?

FM : Nous n’offrons aucun soutien particulier aux victimes si ce n’est la mise à niveau de la sécurité de leurs équipements de communication afin de prévenir les violences potentielles.

BB : Depuis la réalisation de l’étude, a-t-il eu d’autre cas de VFFTTC porté à votre attention? Si oui, veuillez élaborer les particularités de l’abus.

FM : Oui, nous avons traité des nouveaux dossiers. La plupart des cas, il s’agit de vols de données par des partenaires intimes avec qui les mots de passe et autres outils informatiques étaient partagés. Ce sont les mêmes genres d’abus que ce que nous avons documentés jusqu’ici à travers notre compagne de sensibilisation.

BB : Le concept de la justice est vaste et complexe. De quelles manières les femmes ont pu intégrer le concept de la justice dans leurs propres vies[i]?

FM : Notre recherche montre que pour la plupart des victimes, la justice n’était pas qu’on envoie la personne en prison, simplement que la violence cesse et que la vie puisse reprendre son cours.

BB : Les organisations qui travaillent contre la VFFTTC se trouvent souvent sur les premières lignes des violations des droits humains. En conséquence, est-ce que votre organisation a vécu des conséquences négatives dans le cadre de votre travail contre la VFFTTC? Quels sont les défis pour vous ou votre personnel en offrant ces services?

FM : Notre site a été piraté au tout début du projet par un groupe supposé être basé en Turquie et qui a laissé des messages inappropriés sur notre ancien site. Après avoir compris que la vulnérabilité venait de notre hébergeur, nous avons refait le site et déplacé l’hébergement ailleurs. Cela nous a pris du temps, de l’argent et de l’énergie.  Malheureusement, nous avons perdu certains éléments de communication tels que les commentaires de nos supporteurs et des usagers du site.

BB : Comment peut-on comprendre la VFFTT par rapport à d'autres formes de violence contre les femmes, les normes patriarcales et la discrimination sexuelle en RDC?

FM : Ce sont des violences sournoises, qui n’arrivent qu’à la catégorie de la population qui est connectée à la technologie et que d’autres membres du mouvement des femmes. Les agresseurs sont très souvent plus âgés, ne comprennent pas et ne prennent pas en compte que c’est une violation des droits. Ils sont pourtant répandus et causent les mêmes dégâts que les violences domestiques ou sexuelles. Ils sont très souvent chez les tous jeunes adolescents et les femmes qui essaient de se démarquer des rôles de genre socialement préétablis. Le mouvement des femmes aura tout à gagner de s’embarquer plus dans le combat.

BB : Êtes-vous optimiste concernant le travail effectué? Comment pensez-vous que ce travail peut améliorer les droits des femmes?

FM : Nous sommes optimistes car il y a un grand intérêt à approfondir le sujet et nous pensons que dans le processus nous allons mieux comprendre les violences faites aux femmes en RDC.  Comme organisation luttant contre la VFFTTC, nous avons créé une niche pour laquelle nous sommes reconnues et appréciées des autres organisations de femmes.

[i] Question par Lamia Kosovic, Que l’on retrouve au site suivant:

cette article à d'abord été publié sur GenderIT.org

 

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